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Anticiper n’est pas synonyme de précariser

Le Syndicat Suisse des Mass media apporte son éclairage dans la discussion entre Antonio Hodgers et Pascal Crittin au sujet du projet Campus RTS.

Une délocalisation massive d’emplois comme passage obligé pour adapter le service public audiovisuel aux nouveaux modes de consommation des médias ? C’est ce que laisse entendre le directeur de la RTS, Pascal Crittin, en réponse aux critiques du conseiller d’état Antonio Hodgers sur le projet Campus à Ecublens. 

Pour le directeur, le projet Campus incarnerait donc l’unique réponse face au développement du numérique. Il n’y aurait pas d’alternative. Le contester reviendrait à faire preuve d’immobilisme, au propre et au figuré. Voire d’incompétence pour quiconque oserait comparer le coût d’un investissement immobilier avec les mesures d’économies que vient de décider la SSR, comme on comparerait des pommes et des poires.

L’adhésion du personnel est insuffisante

Le Syndicat SSM, partenaire social de la SSR, formule depuis plusieurs mois son opposition au projet Campus tel qu’il est sur la table aujourd’hui, dans sa version concentrant l’Actualité sur un site unique. Il s’appuie sur le soutien d’une majorité du personnel, exprimée dans le cadre d’un sondage en début d’année. Le syndicat ne s’est nullement opposé à la construction d’un bâtiment dédié à la Radio, qui était la vocation première du projet Campus. La Radio qui se voit désormais réduite à la portion congrue depuis que la direction a décidé de pousser les murs pour y héberger toute l’Actualité.

Quoiqu’en dise le directeur de la RTS, il y a d’autres voies possibles pour dessiner l’avenir de l’audiovisuel de service public. La direction n’a pas le monopole de la vision de l’entreprise et de ses potentialités.

Quoiqu’en dise le directeur de la RTS, il y a d’autres voies possibles pour dessiner l’avenir de l’audiovisuel de service public. La direction n’a pas le monopole de la vision de l’entreprise et de ses potentialités. La consultation du personnel organisée en janvier 2019 l’a démontré, tout comme la réactivité des professionnel·le·s dès les premiers jours de la crise COVID. Sans compter leur implication au quotidien sur le terrain, leur capacité d’innovation et leur maîtrise technologique.

Quant aux projets pour Genève, ramenons un peu de modestie dans les propos du directeur RTS: à ce jour, le « nouveau studio d’information » est en fait le studio de radio filmée de Genève Région en cours de construction au 17ème étage de la tour, avec quelques journalistes prévu·e·s en renfort. Le « pôle de compétence internationale » prend la forme d’un partenariat entre Paris (institut de relations internationales et stratégiques IRIS et TV5Monde) et Genève (l’université et quelques journalistes spécialisé-e-s). Enfin le « centre de création digitale » en est encore au stade de projet.

Pour être envisagé, le projet de délocaliser 200 à 300 emplois de Genève à Ecublens devrait répondre à un impératif économique (éviter une faillite), ou à tout le moins à un projet éditorial unanimement convaincant. Ces conditions ne sont pas remplies. 

Cette réorganisation de grande ampleur touche le personnel d’une entreprise largement financée par l’argent public, qui prévoit ainsi de laisser à la charge de la collectivité celles et ceux qui ne pourraient pas suivre. Pour être envisagé, le projet de délocaliser 200 à 300 emplois de Genève à Ecublens devrait répondre à un impératif économique (éviter une faillite), ou à tout le moins à un projet éditorial unanimement convaincant. Ces conditions ne sont pas remplies. 

Une entreprise en restructuration permanente

Le projet Campus est cher, socialement coûteux, et pas plus sûr en termes de fidélisation des publics et d’acquisition de nouveaux publics. Car comme le relève Antonio Hodgers, on peine à discerner ce fameux projet éditorial, au-delà du constat partagé que la production numérique doit, comme partout, être développée en accord avec les changements inéluctables du mode de consommation des médias. Il est donc parfaitement légitime de questionner son coût (plus de 110 millions de francs), dans une entreprise en restructuration permanente depuis des années.

Le directeur feint de s’étonner des réactions que suscite son projet de concentration et brandit l’argument de l’anachronisme (des structures mises en place dans les années 60 pour faire face à la transformation des médias, pensez-donc), à la manière du manager dénonçant la « résistance au changement » pour imposer une organisation du travail déconnectée du terrain.

En réalité, la déclinaison de contenus sur les trois médias, radio, télévision et web – la « story transmédia » -, existe déjà. Elle est fabriquée quotidiennement par les différentes équipes, sans nécessiter une hyper concentration du personnel et une verticalisation toujours plus lourde de son contrôle managérial.

Une division du travail qui fonctionne comme une machine à disqualifier les “vieux”

Pour relever le « défi du numérique », le SSM estime qu’il faudrait, au contraire, entendre et soutenir les professionnel·le·s, qui parfois manquent cruellement de moyens. 

Le problème, c’est qu’un vrai débat sur le numérique n’est guère possible aujourd’hui au sein de la RTS. Le projet de transformation est verrouillé au point que celles et ceux qui s’inquiètent que la redevance serve à alimenter les plateformes numériques de la Silicon Valley sont inaudibles.

Le problème, c’est qu’un vrai débat sur le numérique n’est guère possible aujourd’hui au sein de la RTS. Le projet de transformation est verrouillé au point que celles et ceux qui s’inquiètent que la redevance serve à alimenter les plateformes numériques de la Silicon Valley sont inaudibles.

La structure fonctionne comme une machine à disqualifier, non dénuée d’âgisme et opposant absurdement le « broadcast » (la radio et la télévision) et les nouvelles grammaires digitales, au lieu d’intégrer toutes les bonnes volontés, y compris les volontés d’apprendre. L’ambition affichée par la direction de limiter la casse sociale grâce à la reconversion professionnelle sera, à cet égard, un bon test. A commencer par les postes mis au concours par la RTS en parallèle à l’annonce de licenciements inévitables.

Tout ça pour quoi ?

Le déplacement forcé d’environ 300 personnes dans le cadre d’un « rééquilibrage des effectifs » entre Genève et Ecublens aura des conséquences importantes sur la santé du personnel et sur la dynamique de toute l’entreprise. Les familles, et en particulier les femmes qui en assument la majorité des charges quotidiennes, seront les grandes perdantes de ce bouleversement. Le personnel à temps partiel paiera le prix de cette mobilité forcée par une précarité accrue. 

Autant de dégâts, pour quelle plus-value ? En considérant les moyens limités de la RTS et les contraintes de la production de l’information, la concentration sur un seul site des trois médias ne devrait conduire, à terme, qu’à un traitement uniformisé de la même actualité. Le SSM craint également que, sur le site Campus, la RTS ne prenne l’option de l’utilisation systématique d’un personnel polyvalent, sous-formé aux trois médias et mal payé, dont la seule fonction serait d’alimenter la production jusqu’à épuisement. 

Enfin, le SSM s’interroge sur un projet qui aura pour conséquences d’engorger des transports régionaux (trains, routes) déjà saturés, d’épuiser le personnel dans des déplacements interminables et d’entasser ce même personnel dans des open space en conditions dégradées. Un concept dénoncé comme facteur de souffrance et remis en cause par de nombreuses entreprises. Et cela alors que d’autres pandémies sont annoncées comme probables à l’avenir.

Aujourd’hui, Pascal Crittin s’engage vis-à-vis des autorités genevoises à mettre en œuvre une « politique sociale responsable ». Le SSM prend le directeur au mot et l’invite à soutenir la négociation entre les partenaires sociaux de mesures fortes, susceptibles de limiter drastiquement la casse sociale.